Je suis tombé sur Lovecraft assez tardivement et je dois dire que l'auteur m'a marqué à jamais. Comme beaucoup de personnes, je ne lis plus beaucoup. Comme je le dis sur [qui je suis](a-propos.md), je suis rédacteur web et écrivain de formation. Et quand on écrit pour le web, on n'écris pas en français, on écrit de manière algorithmique, de façon hachée, très barbare et pauvre. De ce fait, tout ce que j'avais appris, sur la connaissance de la langue française, dans ma jeunesse, a été diluée dans la médiocrité de l'écriture web. Et si on veut enrichir son vocabulaire, il n'y a pas de meilleure méthode que les livres à l'ancienne. Evidemment, il ne faut pas lire les pavés insipides actuels, qui sont bourrés de fautes d'orthographes (comme celui-ci) ou encore, dont la construction de phrase est inepte et illetrrée, il faut se plonger dans les classiques.
J'avais déjà entendu parler de Lovecraft, mais c'est en 2019 que je me plonge dans ses oeuvres complètes. Dès ses premières lignes, je suis tombé sous le charme, une écriture unique, qui n'a jamais été égalée, malgré les tentatives de ses Compagnons de Lovecraft, une richesse de scénario, un souci du détail qui frise à l'obsession. 2020 et un covidisme stupide m'ont bien aidé, car lire les près de 2000 pages de son oeuvre, était propice, quand le monde réel basculait dans la folie et qu'on avait des villes mortes, fantomatiques, surtout le soir. J'ai pu m'immerger dans Lovecraft et malgré son oeuvre monumentale, j'ai tout lu plusieurs fois.
Evidemment, ses nouvelles les plus célèbres, comme le Culte de Cthulhu, mais aussi La couleur tombée du ciel, les montagnes hallucinées, le Cauchemar d'Innsmouth, l'Abomination d'Ipswich, etc. J'ai lu quand Lovecraft était jeune, les nouvelles qu'il a écrit juste avant sa mort prématurée, mais aussi des trucs qu'il écrivait quand il était enfant. Lovecraft, à la manière de son maitre à penser, Edgar Allan Poe, aurait pu ne jamais se faire connaitre du monde. Les deux génies, séparés par un siècle, ont été connus grâce à l'acharnement d'un Baudelaire dans le cas de Poe et de Paul Michaud, dans le cas de Lovecraft. Baudelaire disait : "Je suis venu vous présenter l'oeuvre comme vous n'en avez jamais vu ou connu et qui le restera." Michaud et les Compagnons de Lovecraft vont s'acharner à faire connaitre Lovecraft dans le monde illetrée du puritanisme américain. L'Amérique aime la bêtise et la facilité, comme le disait les critiques de leur temps à propos de Poe : "Oui, on sait que c'est un génie, mais on ne le comprend pas !".
Lovecraft mourra de pauvreté à 37 ans, il gagnait sa vie comme un nègre, en améliorant les livres des autres, et comme c'était des oeuvres très médiocres, des biographies, des essais, on peut juste imaginer sa souffrance quand on lui demandait d'utiliser son style et son art pour écrire des brochures publicitaires ! Et il le disait lui-même :"Je ne sais rien faire d'autre qu'écrire". J'ai tellement aimé Lovecraft que j'ai écrit un livre entier sur lui appelée [A la rencontre de Lovecraft](https://www.amazon.fr/rencontre-Lovecraft-Comprendre-ma%C3%AEtre-l%C3%A9pouvante-ebook/dp/B0DJ6WNBH8) .
J'ai été paresseux avec ce livre, car je ne fais que paraphraser ses nouvelles et donner mes commentaires d'un auteur en herbe qui se croit intelligent.
Le monde de Lovecraft
Lovecraft est un génie à l'état pur, car comme il était déçu par la médiocrité des mythes monothéistes, il décide de créer une mythologie à part entière, qui se passe des centaines de millions d'années avant la race humaine. Cela lui donne une liberté totale et ne pas être infecté par des mythes récents. Cependant, quand on étudie Lovecraft et je l'ai fait quand j'ai écrit mon livre sur lui, est qu'il s'inspire d'ouvrages et de mythes existants, par exemple, le continent de la Lémurie, le mythe des Atlantes qui descendraient d'une race plus ancienne en opposé à l'autre race qui deviendra les barbares et les sauvages.
C'est tout l'art de Lovecraft d'avoir mélangé des ouvrages fictifs, mais aussi bien réels qui étaient utilisés dans l'art occulte et la sorcellerie pendant des siècles. Et il savait tellement donner du réalisme à ses oeuvres, que pendant des années, des libraires étaient excédés de voir des gens leur demander le Nécronomicon alors qu'il n'a jamais existé.
Le racisme de Lovecraft
Je l'aborde aussi dans mon bouquin, mais je trouve tout à fait infect qu'on puisse réécrire Lovecraft pour prétendument le nettoyer de son racisme. Oui, il existe dans ses oeuvres et c'est même ce qui en fait tout le charme. Et c'est une insulte de pire espèce, car Lovecraft était un perfectionniste à l'extrême et vous avez des parvenus et des illetrés qui se permettent de toucher à son oeuvre. Lovecraft a vécu dans la pauvreté pour deux raisons. La première est que parfois, un seul paragraphe lui prenait des mois, chaque mot, chaque ponctuation était travaillé et pensée, vous le comprenez quand vous le lisez en train de donner des conseils à un écrivain en herbe.
La deuxième raison est que Lovecraft détestait la médiocrité, c'est la raison pour laquelle il utilise un vocabulaire aussi riche, c'était en opposition par rapport aux livres insipides qu'on trouvait un peu partout. Il parlait de la mort de la littérature dans les années 1900 et on se rend compte que rien n'a seulement changé, mais ça empire à chaque année qui passe.
Le racisme de Lovecraft lui permet de diviser le monde en deux catégories de personnes, les "bons" qui sont souvent associés à la race anglo-saxonne, généralement des personnages braves, sages et qui savent prendre les bonnes décisions dans les pires moments. Par exemple, le médecin dans l'Affaire Charles Ward ou encore les trois personnes dans l'Abomination d'Ipswich. Car pour Lovecraft, il n'a pas de racisme de peau en tête, il ne déteste pas les habitants des Caraibes ou ceux du Cap-Vert parce qu'ils sont noirs, mais parce qu'ils vénèrent Cthulhu et par conséquent, leur vénération détruira le monde. Après, on peut extrapoler sur la destruction du monde civilisé et donc anglo-saxon, mais le fait est que si vous enlevez le racisme de Lovecraft, vous avez juste une histoire de monstres.
Ensuite, la racine de son raciste est également à chercher dans sa propre histoire. Surnommé comme le solitaire de Providence, il a vu arriver une immigration dans sa ville, bastion de la Nouvelle-Angleterre et qui fait partie des vaincues dans la Guerre des Sécession, cette immigration où on a une population qui est passé de 75 000 à 125 000 en l'espace de 25 ans, avec les 50 000 nouveaux venus, principalement des noirs et des métisses, dans une population puritaine à crever, la perte de repères et d'identité, le sentiment d'invasion, qui est magnifiquement sublimé par le Cauchemar d'Innsmouth où Lovecraft nous livre sa véritable peur sur le métissage, une chose qu'il abhorrait davantage que les races différentes, car dans le métissage, c'est la race étrangère qui prend toujours le dessus et la race occidentale est effacée.
Les oeuvres de Lovecraft
Les oeuvres de Lovecraft sont innombrables et chacun a ses propres caractéristiques. Même si on peut retrouver un fil conducteur pour construire sa mythologie, ce fil est assez fin et on peut tout à fait les lire de manière indépendante tout en appréciant la qualité de l'écriture. Lovecraft était aussi un spécialiste des nouvelles courtes, le genre littéraire le plus difficile à maitriser. Donnez une limite de 500 mots à un auteur et il va pleurer d'impuissance, car il n'a absolument pas le temps les trois arcs de l'histoire, l'introduction, le coeur et la conclusion.
Cependant, quand vous lisez une nouvelle comme Le Molosse ou encore la Cité sans nom, on a des histoires très riches, qui nous montrent déjà ce qu'est capable Lovecraft tout en contraignant à quelques pages. En fait, Lovecraft s'inspirait de son maitre, Edgar Allan Poe, qui considérait que la nouvelle courte était le seul genre littéraire qui permettait d'évaluer un bon écrivain. Et c'est vrai, si vous donnez des pages illimités à un écrivain inspide, alors il est évident qu'il va écrire quelques bonnes phrases, mais donnez lui 3 pages recto verso pour écrire une bonne histoire et il sera perdu, car son esprit n'est pas suffisamment aiguisé, ni qu'il a une idée claire de son histoire. Lovecraft comme Poe savaient exactement l'histoire qu'il allait écrire, de la première à la dernière lettre et l'écriture, même si c'était un exercice difficile pour eux, n'était qu'une formalité alors que pour l'écrivain médiocre, c'est le coeur de son travail.
La nouvelle courte permet d'accrocher rapidement le lecteur, une autre technique que Lovecraft avait pris de Poe est que la première phrase doit appater le lecteur, lui donner l'envie d'en lire plus. Dans le monde médiocre que nous sommes, ça pourrait être l'héritage des titres putes à clic. Ainsi, une phrase d'introduction comme :
Je viens de mettre deux balles dans la tête de mon frère, mais je vais vous prouver que ce n'est pas un meurtre.
Il est clair que c'est plus classe que les titres dans les vidéos Youtube (dont je suis même coupable dans mes vidéos). Parmi les oeuvres majeures de Lovecraft, on peut citer l'Appel de Cthulhu, les Montagnes Hallucinées, la Couleur tombée du ciel, l'Affaire Charles Ward, le Cauchemar d'Innsmouth. Ce n'est qu'une goutte d'eau dans les oeuvres de Lovecraft et je ne cite pas ici pas les nombreuses nouvelles qu'il a écrit, mais aussi les différentes périodes de sa vie. J'ai mentionné que j'avais lu une de ses histoires, faisant une demi-page, quand il avait sept ans et c'est là que vous vous rendez compte que le mec était déjà cinglé dès sa naissance, parce que parler du cadavre de sa soeur, dans une histoire de chasse au trésor dans une caverne, faut y aller ! La jeunesse de Lovecraft sera marqué par la pré-génèse du mythe de Cthulhu et on retrouve aussi une autre obsession de l'auteur, la mort. La nécrophilie, l'amour de la mort, il suffit de lire une nouvelle comme Le Nécrophile pour voir qu'il avait un amour très malsain sur la mort.
Beaucoup vous diront que les Montagnes Hallucinées sont l'oeuvre majeure de Lovecraft et je ne suis pas d'accord. Lovecraft est un auteur qui est difficile à lire, mais dans les Montagnes de l'Antarctique, il est quasi impossible à suivre dans les pentes enneigées et les cités cyclopéennes. Comme il adaptait son texte à son sujet, alors cela signifie qu'il vous faut une dictionnaire de paléontologie pour comprendre la première partie des Montagnes Hallucinées. Les gens glorifient cette histoire, car Lovecraft révèle tout dedans. Ce que sont les Anciens, les Grands Anciens, la bataille entre les deux camps, les Shoggoths, il révèle le début de la guerre et pourquoi, il faut combattre à la fois Cthulhu, mais aussi ceux qui le vénère d'où son racisme à peine voilé. Toutefois, l'Appel de Cthulhu révèle également une grande partie de la trame de Cthulhu sans nécessiter la complexité de lecture. Evidemment, quand on lit la première fois Lovecraft, on ne se rend pas compte de son importance et il faut lire les Montagnes Hallucinées pour en comprendre la vraie valeur.
Que dire de la Couleur tombée du ciel qui me plonge toujours dans la déprime la plus profonde face à l'être humain alors qu'il patauge en plein cauchemar. Mais l'oeuvre la plus magistrale, le seul roman de Lovecraft est L'affaire Charles Ward. Une véritable saga, s'étendant sur plusieurs générations, Lovecraft a failli mourir d'épuisement en l'écrivant, vu son obsession de la perfection. On y trouve de tout, la nécromancie, le culte de l'immortalité, l'obsession pour la perversion, la salissure, la profanation, mais aussi des troupes de braves qui combattront sans relâche, le mythe de Cthulhu apparait comme un arrière-plan fugace sur toute cette immense fresque, mais malgré sa longueur, Charles Ward ne nous emmerde pas contrairement aux Montagnes Hallucinées, on a tendance à perdre l'auteur tellement son souci du détail est criant puisqu'il décrit minutieusement jusqu'aux gravures sur les murs de la cité cyclopéenne.
Les Montagnes Hallucinées sont aussi un hommage de Lovecraft à Edgar Allan Poe et son roman majeur (son seul d'ailleurs) qui est : *Les Aventures d'Arthur Gordon Pym*. Je ne suis pas un lecteur assidu de Poe, car si Lovecraft est un génie dans l'ambiance de l'horreur et c'est ce qu'il faut comprendre, ce n'est pas de l'horreur pur, mais la beauté de Lovecraft est sa capacité à vous immerger dans ses histoires comme aucun autre auteur n'a pu le faire et aucun ne pourra le faire. Poe, en revanche, est un génie tout genre confondu et il est tellement inaccessible par ses multiples niveaux de lecture qu'on est un nain aveugle et illettré qui tente de déchiffrer un ancien monolithe ayant l'écriture la plus complexe qui existe.
Poe était un auteur beaucoup plus torturé que Lovecraft, car son génie n'a jamais été compris par la bêtise crasse de la société américaine. Et les critiques littéraires de l'époque l'admettait : *C'est un génie, mais on ne le comprend pas*. Poe a souffert d'alcoolisme toute sa vie à cause du rejet de ses oeuvres, il est resté pauvre toute sa vie. Et comme Baudelaire le disait, chaque homme à un ange bienveillant qui veille sur lui et pour Poe, c'était sa mère qui faisait du porte à porte dans le journaux et les magazines pour tenter de vendre ses histoires, afin d'en tirer quelques sous. Poe mourra d'une façon ingrate, on le retrouve sur une voie ferrée, ayant succombé à son alcooliste après la sortie d'un bar particulièrement arrosée, mais les circonstances de sa mort sont troubles même aujourd'hui. Mais le pire est que si pour Lovecraft, la consécration n'est venue qu'après sa mort, Poe a été trainé dans la boue post-mortem, par des prétendus "amis" qui le jalousaient au plus haut point. Il a une réputation d'alcoolique pendant quasiment deux décennies avant qu'on découvre le génie de ses oeuvres, notamment avec Baudelaire. Poe était génial dans les histoires d'horreur, il était d'une complexité inouie dans ses histoires policières, d'une beauté à tirer les larmes des yeux dans la description de paysages et ses poèmes. Il avait une métaphysique unique, qui est décrite dans ses poèmes.
Mais Arthur Gordon Pym est vraiment quelque chose d'unique. On a la gorge assoiffée comme un alcoolique quand on lit sa description de la soif après la mutinerie sur le bateau et que celui-ci chavire. On a l'estomac qui gargouille quand on lit sa description de la faim. C'est normal, on y voit la soif de l'alcoolique, mais aussi la faim du crève-la-faim et Poe pouvait surprendre n'importe quel lecteur, sa description du vaisseau fantome avec le cadavre qui semble bouger, alors que c'est un oiseau qui est en train de manger le cadavre de l'intérieur en faisant bouger les muscles de la bouche, terrifiant et surprenant au point de vous retourner les entrailles. Comme Arthur Gordon Pym se termine alors que les survivants se dirigent vers l'Antartique, Lovecraft continue l'histoire, mais il faut le remettre sur le fait qu'à l'époque, les continents glacés étaient inexplorés et qu'on imaginait bien des choses sur eux.
Lire ces deux auteurs est une expérience unique, même si j'ai dû mal à comprendre le style de Poe et même aujourd'hui, Arthur Gordon Pym est encore débattu, certains ont parlé que c'est un niveau de lecture sur la page blanche, sur la médiocrité du monde, sur les obstacles incessants sur sa propre vie. Et dans le cas de Lovecraft, son impact est immense, dès que vous verrez un ponton lugubre, des créatures marines, des trucs glauques verdatres, vous le devez à Lovecraft, il est repris dans une grande partie de la fiction d'horreur dans les bandes dessinées, les jeux vidéos, les livres, les jeux de société, les jeux de rôle et malgré des dizaines de milliers d'oeuvres inspirés de sa mythologie, personne n'a jamais réussi à lui arriver à la cheville et la même chose est valable pour Poe, c'est la marque des vraies génies.